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[Interview] Nicolas Truffinet, auteur de Kaamelott ou la quête du savoir.

Série phare créée par Alexandre Astier, Kaamelott suscite toujours autant d’admiration, même cinq ans après la fin de sa diffusion. Pourtant, les écrits à son sujet ne courent pas les rues. On compte divers travaux universitaires mais très peu de livres. De mémoire, depuis Kaamelott : Au Cœur du Moyen-Age d’Eric Le Nabour publié en 2007, rien n’est sorti sur le sujet. Autant dire que le récent Kaamelott ou la quête du savoir est attendu au tournant par de nombreux fans de la saga arthurienne. Nicolas Truffinet, l’auteur de cet essai, s’est prêté au jeu de l’interview.

Kaamelott ou la quête du savoir est le premier ouvrage de Nicolas Truffinet. Après un bac L, ce dernier se dirige en prépa littéraire avant de choisir l’histoire. Il tâtonne un peu par la suite en passant divers concours administratifs tout en continuant à écrire des critiques de cinéma pour différentes revues (Chronicart, accreds.fr, etc.). Il finit par revenir à la recherche et réalise actuellement une thèse. « De manière générale, je tiens à garder un pied dans le cinéma et l’autre dans les sciences sociales au sens large », précise t-il.

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Nicolas Truffinet

Si vous faites toujours partie du centre de recherche d’histoire nord-américaine de l’université Paris I, la période du mythe arthurien n’est pas a priori votre domaine de prédilection. Vous y êtes-vous intéressé via la série?

NT : J’ai effectué mon master au centre de recherche d’histoire nord-américaine (CRHNA) et suis à présent en histoire économique à l’IDHES (institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société), toujours à Paris I. Dans les deux cas, je vous l’accorde, on est loin d’Arthur ! J’ai effectivement été amené à m’intéresser au Vème siècle au moment où je rédigeais le livre. J’ai consulté plusieurs ouvrages, d’Henri-Irénée Marrou, Peter Brown, Paul Veyne… rapidement mentionnés dans le chapitre « Tristesse et décadence ». Je n’y passerai pas toute ma vie, mais j’ai trouvé cette période passionnante : mal connue, réellement singulière, entre l’antiquité tardive et le haut Moyen-âge.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre livre? Pourquoi Kaamelott parmi toutes les séries existantes?

NT : Je travaillais sur un précédent projet avec un autre éditeur que Vendémiaire, et je voyais bien que c’était en train de tomber à l’eau. Plusieurs personnes m’ont conseillé de ne pas trop ressasser cette déception et de passer vite à autre chose. Je découvrais alors Kaamelott (sur le tard, donc : je n’ai pas du tout suivi la série sur M6, au moment de sa première diffusion), qui me passionnait et m’inspirait sur pas mal de plans (de la création télévisuelle, de l’histoire…). C’était une année de transition pour moi, j’avais un peu de temps… Ça s’est fait comme ça.

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Kaamelott ou la quête du savoir, éditions Vendémiaire, 2014.

Vous évoquez certaines influences entre des séries pré Kaamelott et celle-ci (format court, thèmes qui se recoupent, etc.). Selon vous, est-ce qu’on peut désormais retrouver des influences de Kaamelott et la patte d’Astier dans d’autres séries actuelles?

Bonne question. Il faut vraiment que je jette un œil à Hero Corp [NDLA : série créée par Simon Astier dont la 4è saison est en cours de diffusion]. Pour le reste, je ne vois pas grand-chose. Autant Les Soprano, par exemple, continue d’apposer sa marque sur tout un pan de la télévision américaine, autant avec Kaamelott, on est plus, me semble-t-il, dans une logique d’objet singulier, prototype sans descendance. Un créateur qui se mettrait trop visiblement dans les pas d’Astier risquerait de livrer un mauvais pastiche. Ce que, malgré tout, la série a montré d’important, c’est qu’il était possible de tirer vers le haut, de faire confiance à l’intelligence du spectateur, que ça n’était pas forcément un mauvais calcul. En cela, elle peut rester une source sinon d’inspiration, en tout cas d’optimisme.

Cette thématique de la transmission du savoir se veut capitale chez Astier. La retrouve-t-on également dans des œuvres non abordées dans votre livre comme les BDs Kaamelott et, plus récemment, dans Astérix & le Domaine Des Dieux?

Dans une bien moindre mesure, en tout cas. Je connais très mal les BDs puisque je n’en ai lu qu’une en préparant le livre. Honnêtement je n’ai pas trouvé ça génial. Je trouve intéressant qu’Astier ait finalement souhaité mettre en scène les missions des chevaliers, seulement racontées autour de la table dans la série (au point qu’on se demande si elles ont vraiment lieu), et que pour ce faire il ait ressenti le besoin d’un autre format (la BD, donc). C’est à peu près tout.

Quant à Astérix & le DDD, je le trouve très réussi, très habile à beaucoup d’égards mais je ne suis pas sûr qu’il apparaîtra rétrospectivement comme un sommet dans l’œuvre d’Astier. Sur le plan de la pédagogie en tout cas, je pense vraiment que c’est dans ses spectacles que sa touche s’exprime le mieux. Là, il a vraiment inventé quelque chose, entre la fiction, le sketch et la « vraie » conférence que donnerait un enseignant plus ou moins bon blagueur. Dans ce genre (hybride), Que ma joie demeure est, à mon sens, un chef-d’œuvre.

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Alexandre Astier dans Que ma Joie Demeure!, 2012.

Y’a t-il d’autres artistes contemporains (français ou étrangers) qui placent l’apprentissage au centre de leurs propos ou Astier vous paraît-il seul sur ce terrain?

Je suis justement en train d’écrire un – long – article où je reviens sur la littérature pédagogique de la fin du XIXème siècle (Le tour de la France par deux enfants, en Italie Le Livre-cœur…) : ouvrages démodés dans une large mesure, qu’il n’est pas question d’appeler de nos vœux aujourd’hui, ça n’aurait aucun sens, mais qu’on peut souhaiter réactiver autrement, sans la déférence, sans la morale d’un autre temps, etc. Les deux œuvres que je mets en avant dans ce sens sont Kaamelott, donc, et les Simpson.

Ce qui me frappe, c’est de voir combien les deux, au premier abord, paraissent s’inscrire dans une certaine tendance contemporaine (à la dérision, au dénigrement… tendance dont se désolent les penseurs austères). Et combien, loin d’en rester à ce jeu de massacre, elles entendent au contraire reconstruire quelque chose, la possibilité d’un savoir. Dans Kaamelott, je vois un appétit indéniable pour l’histoire, la politique, la philosophie… Comment se crée, s’administre un état, la part de la religion… C’est présent. Les Simpson présente un tas d’éléments de l’histoire des États-Unis, son fonctionnement, ses débats, etc. Des pères fondateurs aux derniers présidents en exercice, il y a peu de figures historiques que les spectateurs n’aient pas vu passer à un moment ou un autre.

Homers

Je vois de la pédagogie plus diffuse, plus sporadique ailleurs. Il y a assurément du récit d’apprentissage dans Les Soprano. Même des œuvres plus mineures comportent une dimension didactique : je reste frappé de voir à quel point les séries américaines parviennent à rendre compte d’institutions (hôpital, tribunal…) pas forcément glamours, à s’approprier un vocabulaire (médical, juridique…) a priori très technique. Mais aucune autre (que Kaamelott et Les Simpson) ne pousse à mes yeux cette entreprise aussi loin.

Était-il prévu dès le départ d’écrire sur Kaamelott sans avoir d’interviews des intervenants? Ou vous auriez aimé et ça n’a pas pu se faire?

Non, ça n’a jamais été une question. Sur la genèse de la série, les acteurs…, j’en sais probablement moins que bien des fans. Je réalise que ça peut sonner hautain (l’essayiste devant son objet, avec le moins d’interférences possibles), mais c’est comme ça que je voyais les choses.

Astier a souvent abordé une suite de Kaamelott avec, dans un premier temps, l’absence du roi à l’écran. Qui pourrait assurer cette ‘fonction’ de pédagogue le cas échéant?

Bonne question ! Le père Blaise est peut-être celui qui ‘tient à peu près debout’… On peut imaginer de faire venir un nouveau personnage de Rome, pour éclairer des Bretons encore bien frustes, au moment où se termine la série. On peut aussi imaginer qu’un des anciens compagnons du roi se révèle, au moment de prendre des responsabilités dans la résistance à Lancelot. Un personnage qui aurait plus retenu qu’on ne l’aurait cru de l’enseignement du roi et se montrerait capable à présent d’en transmettre des bribes. Si seulement Perceval…

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Jean-Robert Lombard, interprète du Père Blaise dans Kaamelott.

Avez-vous eu des retours de lecteurs?

Mes parents et ma compagne m’assurent qu’ils ont aimé. Plus sérieusement : j’ai eu quelques retours oui, globalement positifs, et j’ai vu passer quelques comptes-rendus sur le net. J’en espère d’autres !

Avez-vous un autre livre en préparation? Des projets à venir?

Je pense à un deuxième, oui, j’hésite à en dire plus pour le moment… Plus ma thèse à finir. Ce qui est sûr, c’est que j’espère continuer.

[Liens utiles]

Pour mettre la main sur le livre, direction le site de l’éditeur ou amazon, entre autres.

La page FB du livre.

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